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Driss Aït Youssef – Le Conseil constitutionnel, garant de la Constitution…et du Pouvoir

Le Conseil constitutionnel garant de la constitutionnalité des lois a confirmé l’assignation à résidence de quelques militants écologistes sur une question prioritaire de constitutionnalité. Les sages de la rue Montpensier ont estimé le 22 décembre que le régime d’assignation à résidence résultant de l’adoption de la loi du 20 novembre 2015 adoptée quelques jours après les attentats du 13 novembre était conforme à la constitution estimant ainsi que les neufs premiers alinéas de l’article 6 de la loi n°55-385 du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence ne portaient pas préjudices aux droits et libertés garantis à chaque citoyen. Dans sa nouvelle rédaction, le a) du 2° de l’article 4 de la loi n°2015-1501 du 20 novembre 2015 prorogeant l’application de la loi n°55-385 du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence et renforçant l’efficacité de ses dispositions dispose que « Le ministre de l’intérieur peut prononcer l’assignation à résidence, dans le lieu qu’il fixe, de toute personne résidant dans la zone fixée par le décret mentionné à l’article 2 et à l’égard de laquelle il existe des raisons sérieuses de penser que son comportement constitue une menace pour la sécurité et l’ordre publics dans les circonscriptions territoriales mentionnées au même article 2. (…) ». C’est sur ce fondement que l’administration dispose de pouvoirs de police administrative permettant d’assigner un individu à résidence selon les modalités fixées par la circulaire NOR : INTK1500247J du 14 novembre 2015.

Pour la petite histoire, des militants écologistes ont été assignés à résider dans une commune désignée jusqu’au 12 décembre passé et obligés de se présenter 3 fois par jour au commissariat, avec interdiction de sortir du lieu de résidence entre 20h et 6h. Le Conseil d’État a interrogé le Conseil constitutionnel sur la conformité aux droits et libertés des dispositions débouchant sur l’assignation à résidence. La plus haute juridiction administrative a considéré pour sa part que ces procédures n’étaient manifestement pas illégales.

Il est possible de s’interroger sur d’une part les motivations qui poussent la puissance publique à édicter ces mesures et d’autre part sur le nouveau rôle du juge administratif supplantant ainsi le juge judicaire dans sa grande mission de gardienne des libertés comme l’indique l’article 66 de la constitution de 1958.

 

Sur l’application de l’article 4

S’agissant d’abord des conditions d’application de l’article 4 de la loi n°2015-1501 du 20 novembre 2015 relative à l’état d’urgence, l’administration peut prendre une mesure préventive contre un individu si son comportement constitue une menace pour la sécurité et l’ordre publics. L’utilisation de ce pouvoir par l’administration sur la base de notes blanches a irrité les avocats des plaignants qui faisaient remarquer très justement la présence d’ « une zone grise » dans un État de droit. Rappelons que l’utilisation de notes blanches pour justifier une décision ait été proscrite dans une circulaire de 2004.

Par ailleurs, il paraît pour le moins curieux que des mesures prises sur le fondement d’une loi résultant des attentats du 13 novembre frappent des individus inconnus pour des crimes de terrorisme. Cette procédure si elle visait à prévenir des débordements en marge du COP 21 trouve une drôle d’application dans le cas d’espèce même si les mesures prises dans le cadre de la loi sur l’État d’urgence trouvent un fondement juridique légitime.

La mise en œuvre de pouvoir de police administrative à, malencontreusement, écarter  le juge judicaire des procédures conduites par le préfet. Cette situation a produit quelques dérives que le Ministre de l’Intérieur s’est empressé de dénoncer en diffusant une nouvelle circulaire le 25 novembre 2015 dite « pepper grill ». Cette mise au point fait suite à une perquisition administrative très contestable ordonnée par le préfet du Val d’Oise dans un restaurant.

L’assignation à résidence sans un contrôle a priori du juge est une mesure restrictive de libertés. Son contrôle a posteriori par le juge administratif prend deux formes. D’abord par l’examen du référé-liberté puis l’étude au fond de la requête. Le référé-liberté pour être examiné doit présenter plusieurs conditions : Une atteinte à une liberté fondamentale, que cette atteinte soit grave et qu’elle résulte d’une décision de l’administration.  De ce point de vue, la procédure de l’assignation à résidence semble remplir ces trois conditions. Pourtant plusieurs référés n’ont pas été étudiés par le juge administratif pour défaut d’urgence sans la tenue d’une audience provoquant ainsi une erreur manifeste de droit.

S’agissant de l’étude au fond, les juridictions saisies ont toutes rejetés les requêtes au fond estimant ainsi que les mesures étaient proportionnées au but poursuivi et légales. La mesure semble entendue et la chose convenue.

 

Sur le rôle du juge administratif

Dans une décision n°99-411 du 16 juin 1999, le Conseil constitutionnel pour donner une définition de la liberté individuelle se fonde sur l’article 66 de la constitution. Toutefois en matière de police administrative, le juge administratif est le juge compétant pour connaître des litiges entre un citoyen et son administration. Cette mesure apparaît donc logique en raison des mesures prises en matière de prévention des atteintes à l’ordre public. Le Conseil constitutionnel s’appuie sur une autre décision (DC n°2015-713 DC du 23 juillet 2015 relative à la loi sur le renseignement) pour poser la mesure d’assignation à résidence comme une mesure préventive et non comme privative de liberté au sens de l’article 5 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales écartant ainsi le juge judicaire du contrôle de cette mesure. Le fait qu’il s’agisse d’une mesure prise par l’administration justifie encore davantage la saisine du juge administratif. Par ailleurs, les décisions de l’administration sont exécutoires. Pour faire suspendre les effets d’une décision administrative, le requérant doit introduire une requête devant le juge des référés sur le fondement de l’article L.521-2 (ou 521-1 pour le référé-suspension) du Code de justice administrative régissant le référé-liberté. La loi du 30 juin 2000 instituant le référé-liberté donne davantage de pouvoirs au juge pour examiner dans les quarante-huit heures, toute mesure nécessaire à la sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle une autorité administrative aurait porté une atteinte grave et manifestement illégale. Cette mesure a reçu le soutien inattendu de la Cour européenne des droits de l’homme. La Cour de Strasbourg a estimé dans une décision qu’une personne assignée à domicile ou placée sous une surveillance de la police n’impliquant aucun confinement dans un local délimité subit une restriction de liberté de circulation et non une privation de liberté  (CEDH, 9 févr. 2006, Freimanis et Lidumsc c. Lettonie).

Pour conclure ce point, le juge administratif est considéré comme un autre gardien des libertés en raison du contrôle qu’il exerce sur les actes administratifs notamment en matière de police administrative. Toutefois, il est indispensable de rappeler que ce contrôle s’exerce aujourd’hui sur la base d’une législation antiterroriste et pour laquelle des juges judiciaires sont mobilisés y compris le juge de la liberté et de la détention.

D’une manière générale, c’est sans surprise que le Conseil constitutionnel a fait litière de la QPC n°2015-527 du 22 décembre 2015 des militants écologistes. Cette question de constitutionnalité aura au moins eu le mérite d’attirer l’attention de nombreux médias  sur un régime de police administrative méconnu mais restrictif de libertés.  D’ailleurs, dans la circulaire « Pepper Grill », le Ministre de l’Intérieur Bernard Cazeneuve indiquait « C’est parce que la perquisition administrative est une mesure exceptionnelle qui porte particulièrement atteinte aux libertés individuelles des personnes que les policiers ou les gendarmes qui y procèdent sont tenus d’être exemplaires dans son exécution ».

De son côté, le rapporteur du Conseil d’État Xavier Domino pour justifier la saisine du Conseil constitutionnel écrivait dans ses conclusions « Dans cette dialectique éternelle entre l’ordre et la liberté, le juge administratif joue un rôle essentiel, en garantissant par son contrôle, y compris en référé, la juste conciliation de ces impératifs ».

Driss AÏT YOUSSEF