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Driss Aït Youssef – La vidéoprotection

Les communes débattent actuellement de la nécessité ou non d’installer un système de vidéoprotection sur leur territoire afin de prévenir et lutter contre la délinquance.
La loi d’orientation et de la programmation pour la performance de la sécurité intérieure (LOPPSI 2) et le code de la sécurité intérieure viennent préciser l’emploi d’un dispositif de vidéosurveillance.

Le terme vidéosurveillance a supplanté celui de la vidéoprotection au travers de l’article 17 de la loi de 14 mars 2011 d’orientation et de la programmation pour la performance de la sécurité intérieure. Ce texte indique que « Sous réserve des dispositions de la présente loi, dans tous les textes législatifs et réglementaires, le mot : « vidéoprotection » est remplacé par le mot : « vidéoprotection ».

L’article L 251-2 du code de la sécurité intérieure (CSI) précise lui que «  La transmission et l’enregistrement d’images prises sur la voie publique par le moyen de la vidéoprotection peuvent être mis en œuvre par les autorités publiques compétentes aux fins d’assurer :

  1. La protection des bâtiments et installations publics et de leurs abords;
  2. La sauvegarde des installations utiles à la défense nationale;
  3. La régulation des flux de transport;
  4. La constatation des infractions aux règles de la circulation;
  5. La prévention des atteintes à la sécurité des personnes et des biens dans des lieux particulièrement exposés à des risques d’agression, de vol ou de trafic de stupéfiants ainsi que la prévention, dans des zones particulièrement exposées à ces infractions, des fraudes douanières prévues par le second alinéa de l’article 414 du code des douanes et des délits prévus à l’article 415 du même code portant sur des fonds provenant de ces mêmes infractions ;
  6. La prévention d’actes de terrorisme, dans les conditions prévues au chapitre III du titre II du présent livre;
  7. La prévention des risques naturels ou technologiques;
  8. Le secours aux personnes et la défense contre l’incendie;
  9. La sécurité des installations accueillant du public dans les parcs d’attraction.

Il peut être également procédé à ces opérations dans des lieux et établissements ouverts au public aux fins d’y assurer la sécurité des personnes et des biens lorsque ces lieux et établissements sont particulièrement exposés à des risques d’agression ou de vol ».

L’investissement global entre 2010 et 2012 est estimé à près de 300 M€ avec une prise en charge de près de 40% par le fonds interministériel de prévention de la délinquance (FIPD).

S’agissant de l’autorisation d’installation d’un système de vidéoprotection, il convient d’adresser au Préfet du département du lieu intéressé la demande d’exploitation. Le représentant de l’Etat dans le département transfère, alors, la demande à la commission départementale de vidéoprotection présidée par un magistrat ou un magistrat honoraire (art. 251-4 du code de la sécurité intérieure). Seulement au delà de ce changement sémantique le débat sur la vidéoprotection* reste entier.

En effet, il est utile de relever d’abord les relations difficiles que peuvent entretenir les deux autorités en charge de la sauvegarde des droits fondamentaux, puis vient, ensuite, la problématique liée à la qualification des agents ayant pour mission l’exploitation des systèmes de vidéoprotection.

Des relations conflictuelles :
Il convient dans un premier temps d’analyser ce qui relève des prérogatives de la commission départementale de vidéoprotection (CDV) et de la Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés (CNIL). Nous pointerons dans un second temps le flou juridique qui existe entre ces deux organes.

Un renforcement de la Commission départementale de vidéoprotection :

S’agissant d’abord de la CDV, l’article 251-4 et suivants du code la sécurité intérieure fixe les missions et la composition de la commission départementale. Elle « exerce une mission de conseil et d’évaluation de l’efficacité de la vidéoprotection. Elle émet des recommandations destinées au ministre de l’intérieur en ce qui concerne les caractéristiques techniques, le fonctionnement ou l’emploi des systèmes de vidéoprotection.
Elle peut être saisie par le ministre de l’intérieur, un député, un sénateur ou une commission départementale de vidéoprotection de toute question relative à la vidéoprotection.
Elle peut également se saisir d’office de toute difficulté tenant au fonctionnement d’un système de vidéoprotection ou de toute situation susceptible de constituer un manquement ».

S’agissant ensuite de la CNIL, l’article 251-7 du CSI réduit cette instance à une simple boite aux lettres. Seuls, les dispositifs de vidéoprotection installés dans les lieux non ouverts au public sont soumis aux dispositions de la loi du 6 janvier 1978 modifiée. Ces systèmes de surveillance font, à cet égard, l’objet d’une déclaration à la CNIL. Les autres dispositifs font l’objet d’une déclaration auprès de la CDV.

Un affaiblissement de la Commission nationale de l’informatique et des libertés :

Il nous appartient ensuite de mettre en lumière une ambiguïté voire un conflit entre ces deux organes à la lecture de l’article 251-1 du CSI**.

En effet, par déduction, les traitements automatisés ou les contenus des fichiers structurés permettant d’identifier, directement ou indirectement, des personnes physiques restent soumis à la CNIL*** Autrement dit un système de vidéoprotection disposant d’une capacité de stockage de données reste sous le contrôle de la Commission nationale de l‘informatique et des libertés. Or, le Titre V du livre II du CSI dans ses articles 251-5 et suivants combinés à l’article L 252-1 donne l’avantage à la CDV ce qui relève du paradoxe****.

La Cour des comptes dans son rapport***** sur la sécurité publique avait déjà critiqué le rôle « imparfait » du Préfet en matière d’autorisation d’installation de système de vidéoprotection de la voir publique sans s’agissant des personnes en charge de l’exploitation des données.

Vers une professionnalisation des opérateurs :

L’efficacité d’un dispositif de vidéoprotection repose sur des agents dont le statut juridique et la formation sont des valeurs ajoutées.

Un statut juridique à redéfinir :

La Cour des comptes a rappelé dans son rapport****** que les Préfets ne remplissaient pas correctement leurs missions s’agissant notamment du contrôle des personnes en charge d’exploiter les images. L’exploitation d’un dispositif de vidéoprotection par des agents doit faire l’objet d’une plus grande réflexion pour garantir au mieux les libertés individuelles. En effet, les collectivités préfèrent mobiliser leur police municipale sur le terrain car très couteuse. Se pose donc la question d’agents « opérateurs » non assermentés et quelques fois inexpérimentés ce qui altère l’efficacité d’un système de vidéoprotection déjà très couteux.

Une filière professionnelle à développer :

Le centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT) propose une formation de 5 jours******* pour accéder à la fonction d’opérateur vidéo-protection. Cette formation d’une semaine reste inconséquente pour maitriser toute les subtilités administrative et juridique d’un dispositif de vidéoprotection surtout lorsque l’agent n’a jamais tutoyé le Droit.

Le législateur doit définir un socle minimum en inscrivant dans la loi comme pour les agents de sécurité privée une formation minimum avec la mise en place d’une habilitation garantissant la probité de l’opérateur.

Conclusion :

Le débat sur la vidéoprotection n’est pas uniquement politique. Il est avant tout juridique. En effet, le législateur ne doit pas au motif de vouloir rassurer le citoyen déployer des outils dont l’évaluation paraît encore incertaine et l’atteinte aux libertés individuelles bien réelle.

*Je préfère le terme vidéoprotection car un dispositif à pour fonction la surveillance et non la protection.
** Les enregistrements visuels de vidéoprotection répondant aux conditions fixées aux articles L. 251-2 et L. 251-3 sont soumis aux dispositions du présent titre, à l’exclusion de ceux qui sont utilisés dans des traitements automatisés ou contenus dans des fichiers structurés selon des critères permettant d’identifier, directement ou indirectement, des personnes physiques, qui sont soumis à la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés.
***Loi 78-17 du 6 janvier 1978 portant création de la CNIL
****Ce conflit est apparu depuis la loi du 21 janvier 1995
*****Cour des comptes, L’organisation et la gestion des forces de sécurité publique. Rapport public thématique, 2011, p.150.
******Ibid
*******http://www.cnfpt.fr/