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Driss Aït Youssef – Déchéance de la nationalité, une mesure discriminatoire mais plébiscitée

Le 13 novembre 2015 a été marquée par de lâches attentats commis sur le territoire de la République par des individus nés en France et donc français. Ces actes barbares ont fauché près de 140 vies, toutes innocentes. Quelques heures après ces attentats atroces, le Président de la République a, pour faire face à un péril imminent, décrété l’état d’urgence qui sera prorogé par le Parlement le 20 novembre 2015. Son déclenchement est subordonné « soit en cas de péril imminent résultant d’atteintes graves à l’ordre public, soit en cas d’événements présentant, par leur nature et leur gravité, le caractère de calamité publique ».  Quelques jours plus tard et pour compléter les moyens d’action des forces de sécurité, le Gouvernement a décidé de constitutionnaliser l’état d’urgence.

Disons les choses clairement, le projet de loi constitutionnelle enregistré à l’Assemblée nationale le 23 décembre 2015 propose de confier davantage de pouvoirs à l’administration dans la cadre de mesures de police administrative dites également de prévention afin de prévenir les atteintes à la sécurité et à l’ordre publics. Cette restriction des libertés a déjà été analysée par le Conseil constitutionnel dans une décision qui indique dans son considérant n°3 qu’il revient « au législateur d’opérer la conciliation nécessaire entre le respect des libertés et la sauvegarde de l’ordre public sans lequel l’exercice des libertés ne saurait être assuré » (85-187 DC du 25 janvier 1985). De son côté le Conseil d’État a jugé qu’il n’y avait pas d’incompatibilité entre la loi 55-385 du 3 avril 1955 et la Constitution (CE, 21 nov. 2005, n°287217).

Le projet de loi constitutionnelle si elle était votée permettrait « de déchoir de la nationalité française une personne qui, née française et ayant également une autre nationalité, aura été condamnée pour un crime constituant une atteinte grave à la vie de la Nation ». Cette  disposition de bon sens (1) soulève de nombreuses critiques alors même que sa mise en œuvre pourrait s’avérer difficile (2).

A – La déchéance  des binationaux

Le Président Hollande a promis devant le Congrès de déchoir de la nationalité française les binationaux coupables d’actes de terrorisme. D’après plusieurs sondages, cette mesure remporterait l’adhésion d’une grande majorité des français. Elle relèverait donc de l’évidence (1). Toutefois, constitutionnaliser cette mesure permettrait de consolider cette initiative très critiquée pour son caractère symbolique (2).

1 – La déchéance des binationaux une mesure – a priori – de bon sens

L’article 2 du projet de loi constitutionnelle prévoit que « la nationalité, y compris les conditions dans lesquelles une personne née française qui détient une autre nationalité peut être déchue de la nationalité française lorsqu’elle est condamnée pour un crime constituant une atteinte grave à la vie de la Nation ». Cette disposition viendrait modifier le troisième alinéa de l’article 34 de la Constitution de 1958.

Le Sénateur Courtois avait, déjà, proposé en 2005 dans son rapport relatif à la lutte contre le terrorisme et portant dispositions diverses relatives à la sécurité et aux contrôles aux frontières la possibilité de déchoir la nationalité des binationaux ayant commis des actes de terrorisme.

Par ailleurs, le code civil contient des dispositions ouvrant une procédure de déchéance pour les français ayant été naturalisés. La modification de l’article 25 du code civil pourrait largement suffire à rassasier la boulimie législative du Gouvernement d’autant plus qu’une décision récente du Conseil constitutionnel sur une QPC précise les modalités de déchéance de la nationalité française en application du 1° de l’article 25 du code civil  au cas ou l’individu aurait été « condamné pour un acte qualifié de crime ou délit constituant une atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation ou pour un crime ou un délit constituant un acte de terrorisme » (Cons. const., 23 janv. 2015, DC n° 2014-439, QPC Ahmed S).

Par voie de conséquence, vouloir modifier la Constitution en y intégrant la déchéance d’individu coupable d’acte terroriste en France relève de l’émotion alors que le Gouvernement doit savoir raison garder. Même si comparaison n’est pas raison, prenons l’exemple des USA, un pays où le patriotisme est une véritable culture. Le terroriste Dzokhar Tsarnaev n’a pas été déchu de sa nationalité car aux États-Unis, la déchéance ne peut être prononcée pour les actes commis avant la naturalisation (décision de la Cour Suprême de 1943). Qu’importe, il a été condamné à la peine mort !!!

2 – La déchéance des binationaux une mesure – a posteriori – complexe et inutile

Les articles 25 et 25-1 du Code civil permettent déjà de déchoir la nationalité d’un binational « condamné (notamment) pour un acte qualifié de crime ou délit constituant une atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation ». Pour cela, les faits doivent avoir été constitués avant l’acquisition de la nationalité française ou dans le délai de 15 ans à compter de son acquisition. L’argument posé par le gouvernement consistant à intégrer la disposition dans la Constitution pour sécuriser la déchéance des français nés en France est maladroit. En effet, une décision du Conseil constitutionnel de juillet 1996 et plus récemment encore de janvier 2015 (Cons. const., 23 janv. 2015, DC n° 2014-439, QPC Ahmed S). À cette occasion, l’institution de la rue Montpensier a rappelé que «les personnes ayant acquis la nationalité française et celles auxquelles la nationalité française a été attribuée à leur naissance sont dans la même situation». Cette posture du Gouvernement est inopérante. Insérer la déchéance de la nationalité, une mesure d’ordre pénale dans la Constitution de 1958 relève tout simplement du calcul politique. Cette norme fondamentale qui organise la vie de nos institutions ne peut être considérée comme un fourre-tout.

Enfin, la déchéance telle qu’elle est présentée serait…paraît-il une mesure dissuasive. Là encore cette analyse est fausse puisque cette disposition viendrait compléter une condamnation pour terrorisme. Elle ne dissuaderait en rien les terroristes de passer à l’action.

 B – La déchéance des nationaux

La déchéance de la nationalité pour des français nés en France a été appliquée à deux reprises. En 1848 pour sanctionner des français responsables du commerce d’esclaves et en 1940 contre des français ayant quitté la France entre le 10 mai et le 10 juin 1940. Cela ne s’invente pas, le général de Gaulle fut déchu de sa nationalité. Si le droit positif permet de déchoir la nationalité des binationaux, il interdit, en revanche, celle qui pourrait rendre un individu apatride. Rappelons au passage que c’est la convention de New York du 28 septembre 1954 régissant le statut d’apatride qui s’applique en France depuis qu’elle a été publiée au journal officiel le 4 octobre 1960. L’apatride peut bénéficier après une procédure administrative d’une protection de l’office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA).

Plusieurs personnalités politiques ont réclamé plus en voulant étendre la déchéance aux nationaux, par principe d’égalité, disent-ils ? Cette mesure s’adresse aux français ne disposant que d’une seule nationalité créant, ainsi, le risque d’en faire des apatrides (2). En cas d’échec, cette proposition rendrait la déchéance des binationaux discriminatoire (1).

1 – La déchéance des nationaux – a priori – impossible à mettre en œuvre

La volonté d’extension de la déchéance soulève quelques obstacles pour le moins juridique. En effet, une fois la nationalité française retirée, l’individu devra faire reconnaître son statut auprès de l’OFPRA qui instruira une procédure pour vérifier si l’individu répond aux critères fixés par la loi. Dans le cas d’espèce, cet établissement public pourrait refuser d’attribuer le statut d’apatride en raison des actes commis sur le territoire. En effet, le a) de l’article L.712-2 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile précise que la protection subsidiaire ne peut être accordée à une personne s’il existe des raisons de penser « Que son activité sur le territoire constitue une menace grave pour l’ordre public, la sécurité publique ou la sûreté de l’État ».

Cette extension se heurte aux principes qui régissent le droit de la nationalité et le principe d’égalité.

S’agissant d’abord du droit de la nationalité, il est admis que chaque État puisse déterminer souverainement  les critères qui fondent l’appartenance à sa communauté.  Cette indépendance doit cependant respecter l’article 15 de la déclaration universelle des droits de l’Homme qui pose que « Tout individu a droit à une nationalité (et que) Nul ne peut être arbitrairement privé de sa nationalité, ni du droit de changer de nationalité ». Le droit de l’union européenne respecte cet aspect de la souveraineté d’une nation (CJCE, 7 juill. 1992, n°369/90, Micheletti) alors que la citoyenneté européenne est liée à la possession d’une nationalité d’un État membre de l’UE. Toutefois, la Cour européenne des droits de l’homme a estimé que la nationalité d’un individu entrait dans le champ de l’article 8 de la convention européenne des droits de l’homme (CEDH, 12 janv. 1999, n° 31414/96, Karassev c/ Finlande. – 6 juin 2014, n° 65941/11, Labassée c/ France : JurisData n° 2014-015214. – n° 65192/11, Mennesson c/ France : JurisData n° 2014-015212). En d’autres termes, la CEDH vérifie qu’il existe un équilibre – une proportionnalité – entre les intérêts de l’État et ceux des individus concernés par cette mesure. En droit interne, cette question a été traité par le Conseil constitutionnel qui admet que « eu égard à la gravité toute particulière que revêtent par nature les actes de terrorisme, cette sanction a pu être prévue sans méconnaitre les exigences de l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ».

S’agissant du principe d’égalité, le Conseil constitutionnel a affirmé plusieurs fois que «  les personnes ayant acquis la nationalité française et celles auxquelles la nationalité française a été attribuée à leur naissance sont dans la même situation ». Proposer une mesure de déchéance pour les binationaux uniquement serait en rupture avec le principe d’égalité. Elle serait disons le franchement discriminatoire. Toutefois, les sages de la rue Montpensier ont reconnu dans une décision que « le législateur a pu, compte tenu de l’objectif tendant à renforcer la lutte contre le terrorisme, prévoir la possibilité, pendant une durée limitée, pour l’autorité administrative de déchoir de la nationalité française ceux qui l’ont acquise, sans que la différence de traitement qui en résulte viole le principe d’égalité », Cons. Const., 16 juill. 1996, DC n°96-377, loi tendant à renforcer la répression du terrorisme, considérant n°23.

En d’autres termes, cette loi pourrait produire des individus sans aucun droit ni titre ce qui serait tout à fait contraire aux normes européennes et internationales. C’est probablement pour cette raison que le 1er des ministres Manuel Valls dans un dernier élan de lucidité a renoncé à l’extension de la déchéance aux nationaux.

2 – La déchéance discriminatoire des binationaux

La révision constitutionnelle prévoit donc de déchoir ceux qui ont trahi la communauté.

Par ailleurs, déchoir un français de sa nationalité puis le renvoyer vers le pays de son autre nationalité pourrait s’avérer complexe.

D’abord, quel pays voudrait accueillir un individu déchu pour terrorisme sauf à vouloir lui infliger un traitement incomptable avec les droits de l’homme ce que la convention de New York interdit formellement. Ce point s’il est anecdotique pourrait, cependant, provoquer la colère de la Cour EDH.

Ensuite et dans un tout autre registre, le pays pourrait, tout simplement, refuser d’accueillir l’individu au motif qu’il présenterait un risque pour sa sécurité.  La France a connu pareille situation dans les années 2000 avec un Pays du nord de l’Afrique. Ce fut également le cas pour le rapatriement de la dépouille du terroriste Mohamed MERAH, refusé, à juste titre, par l’Algérie.

En définitive, cette révision constitutionnelle, pourrait créer une discrimination entre les binationaux c’est à dire les français de deuxième ou de troisième génération et les français  « de souche » qui demeureront à l’abri d’une mesure de déchéance alors qu’ils pourraient commettre des actes tout aussi atroces. Cette mesure initialement symbolique est devenue une véritable gageure pour le Président de la République. C’est donc une proposition de révision constitutionnelle bancale qui adresserait un message aux français de parents immigrés selon lequel ils ne seraient pas des français à part entière mais à part…ce que le front national revendique ardemment, depuis des année