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Driss Aït Youssef – La sécurité partout pour tous et avec tous

Par Driss Aït Youssef dans les Cahiers de la Sécurité n°19 – mars 2012

Roger BENMEBAREK et Mohamed KHIDER sont les premiers Préfets de la République issus de la diversité nommés en 1986. 18 ans plus tard, le 14 janvier 2004, c’est autour d’Aissa Dermouche d’être nommé Préfet de la République. Cette nomination se voulait d’abord politique. En effet, ses initiateurs revendiquaient, jadis, le premier Préfet musulman de la République. Maladresse ou calcul politique, c’était en tout état de cause les prémices d’une politique ambitieuse de promotion de la diversité qui donnait une dimension bien réelle de l’Egalité. Depuis, les décrets se sont succédés au travers la nomination de plusieurs personnalités politiques et fonctionnaires à des postes de premiers plans.

Ce vocable de diversité n’a pas toujours été maitrisé ce qui a quelques fois provoqué un malaise au sein de la classe politique. Ce fut par exemple le cas du Préfet Dermouche. Comment revendiquer la nomination d’un préfet musulman ? La confusion diversité et religion est maladroite ce qui prouve un concept pas toujours correctement assimilé.

Qu’est ce que la promotion de la diversité ?

La promotion de la diversité est une politique qui vise à promouvoir socialement ou professionnellement une catégorie de la population.
Il existe deux approches en matière de promotion de la diversité.
La première consiste à promouvoir une catégorie de la population. Cette conception de la discrimination sur la base ethnique est subjective car elle ne prend en compte que l’aspect physique ou morphologique de l’individu. Les défenseurs de cette conception souhaitent ainsi favoriser des ethnies surreprésentées par rapport aux autres moins représentées. Cette approche ne distingue pas un Mamadou résidant un quartier difficile et un Ibrahim fils d’Ambassadeur résidant les beaux quartiers parisiens. Cette vision est d’ailleurs contraire à notre modèle républicain. Le cas du Préfet n’avait pas manqué de susciter des incompréhensions légitimes. C’est bien à partir de son origine cultuelle que le Préfet avait été nommé. Les détracteurs avaient l’espace nécessaire pour hurler au cruel paradoxe de la nomination d’un Préfet musulman pour servir un pays républicain laïc1. Les nominations suivantes ont laissé la place à une communication davantage maitrisée.

L’autre approche dite de la discrimination positive sur une base sociale prend en considération le lieu de vie de l’individu. Cette vision est plus réaliste et plus respectueuse des principes d‘égalité et de justice sociale que nous défendons. Il est donc permis au travers de cette politique d’accompagner David ou Marinette issus tous les deux d’un quartier populaire au même titre que leur voisin Karim. Il existe d’ailleurs des dispositifs publics tournés vers ces quartiers comme les zones franches urbaines2 ou les zones d’éducation prioritaire3. Ces outils sont principalement déployés dans des territoires spécifiques et ont vocation à s’appliquer en direction de tous les habitants quelles que soient leurs origines cultures, cultuelles ou sociales. Il est également possible de créer une déclinaison de cette approche en mettant en avant l’aspect ethnique de l’individu après avoir pris en compte l’aspect social. En d’autres termes, c’est d’abord l’origine sociale qui doit primer puis ensuite l’origine ethnique.

Pourquoi avons nous recours à ces pratiques ?

En France, près de 60 % des emplois sont pourvus par le biais de la cooptation. Il est donc difficile pour un jeune diplômé issu d’un quartier populaire ou d’une zone rurale d’accéder à son premier emploi lorsque ses parents ne disposent pas d’un réseau professionnel. Sans emploi, ces jeunes subissent quelque fois un phénomène de déclassement qui les oblige à accepter des métiers ne relevant pas de leur compétence traditionnelle. Ces initiatives sont un coup de pouce pour cette génération de jeunes diplômés malmenée par une situation économique difficile.

La sécurité est un puissant facteur d’intégration car au delà des responsabilités qu’elle confère au dépositaire de la force publique, elle confie aux policiers, gendarmes, agents de sécurité une responsabilité particulière. Celle de préserver les libertés publiques.

Les dynamiques, dans le secteur de la sécurité, ont été différentes. En France, on distingue aisément la sécurité publique et privée car même si les deux concourent à la sécurité globale du pays, les approches en matière de diversité sont totalement différentes.

La sécurité publique

S’agissant d’abord de la diversité au sein de la sécurité publique, il convient au préalable d’analyser les outils destinés à promouvoir la diversité au sein des forces de sécurité publique avant d’en apprécier les effets sur les plans quantitatif et qualitatif.

Quels sont ces outils ?

Le Ministère de l’Intérieur s’est doté, en 2007, d’un observatoire de la diversité et de la parité. Cet organisme a commandité une étude auprès de chercheurs de l’Institut National d’Etudes Démographique (INED) en 2009 sur la mesure de la diversité ethnique au sein du Ministère. Indépendamment de la mesure ethnique qui n’a pas retenu notre attention pour les raisons que nous avons évoquées plus hauts, nous avons analysé les critères relatifs à la diversité sociale au sein du Ministère de l’Intérieur. Entre 1990 et 1996, la part des candidats issus de la diversité représentait près de 2% des recrutés. De 1997 jusqu’en 2008, cette part représentait 6 %. Cette augmentation est avant tout liée à la mise en place de politiques particulières de recrutement dans les quartiers populaires. Cette diversité est surreprésentée chez les gardiens de la paix et les gendarmes adjoints volontaires.
En matière de dispositifs de recrutement, la police nationale s’appuie essentiellement sur les programmes d’adjoints de sécurité et cadets de la République4. Le décret n°2004-1415 du 23 décembre 2004 a transformé les cadets en adjoint de sécurité leur permettant ainsi de passer le 2ème concours de gardien de la paix.

Quels sont les résultats disponibles ?

Depuis 1998 à 2010, la gendarmerie nationale a recruté près de 70 454 gendarmes adjoints volontaires sur près de 368 559 candidats. Les derniers chiffres disponibles pour 2011 font état de 11 216 candidatures pour 2 950 gendarmes adjoints volontaires recrutés.
Le GAV5 signe un premier contrat de deux ans. Il peut renouveler une fois son engagement pour une durée de trois ans. Globalement et pour les périodes disponibles, le taux de renouvellement est d’environ 75 % entre le 1er et le deuxième contrat (de 2005 à 2007). Compte tenu de l’annualisation des contrats et pour la seule année disponible (2005)6, 1 958 gendarmes adjoints volontaires ont terminé l’aventure des cinq années d’engagement maximum sur un total de 6 137.

De 1997 à 2011, la police nationale a recruté près de 57 000 jeunes. 11 000 jeunes étaient comptabilisés, en 2011, dans les rangs la police nationale. Ces adjoints de sécurité sont répartis dans 3 catégories : les adjoints de sécurité (6 950), les adjoints de sécurité en contrat d’accompagnement dans l’emploi (3 284) et les cadets de la république (766).

Peut-on se satisfaire de ce résultat ?

A priori oui, mais la diversité doit se décliner à tous les niveaux de la hiérarchie autrement dit elle doit s’appliquer à toutes les fonctions de la police et de la gendarmerie nationales.
Les services de sécurité publique ont mis en place des processus capables d’intégrer cette diversité sociale chez les cadres à l’image des classes préparatoires intégrées (CPI) crée en 20057. En 2011, la CPI préparant au concours de commissaire a accueilli 15 élèves. Depuis la création de ce dispositif, 171 jeunes diplômés ont intégré une CPI. 57 % d’entre eux ont intégrés la police nationale (9 élèves commissaires, 27 officiers et 64 gardiens de la paix). Ce pourcentage chute à 47 % si on ampute les gardiens de la paix qui peuvent relever d’un autre dispositif.

La Gendarmerie nationale a mis en place, pour la première fois un dispositif de CPI en 2011. Pour y participer, les candidats8 devaient justifier d’un master II et devaient répondre à des critères de diversité sociale avec des parents aux revenus modestes. Pour cette première promotion, la gendarmerie a intégré 18 élèves.

En résumé, les forces de sécurité publique ont intégré cette notion de promotion de la diversité mais elles doivent se généraliser à tous les étages de la police et de la gendarmerie nationales. Ces dispositifs doivent perdurer tout en ouvrant davantage les postes à pourvoir chez les cadres. Les réductions d’effectifs annoncées ne doivent pas atténuer cette belle dynamique. Les forces de sécurité publique doivent servir la population et également lui ressembler. D’autres professions ont intégré cette notion mais pour d’autres raisons.

La sécurité privée.

S’agissant ensuite de la sécurité privée, il convient au préalable de poser que ce secteur a intégré depuis de nombreuses années, déjà, cette notion de diversité sociale… un peu trop d’ailleurs disent certains observateurs. Cette diversité n’est que la conséquence de difficultés économiques que connaît la profession en raison d’une politique d’achat problématique ainsi qu’une formation limitée des agents.

La diversité a tout prix ?

D’abord, le secteur est confronté à une donnée implacable du marché. Cette politique d’achat du moins disant longtemps dénoncée par certains dirigeants d’entreprises et d’organisations professionnelles commencent aujourd’hui à refluer. Elle a eu pour conséquence de tirer les prix vers le bas ce qui a conduit les dirigeants à réduire leurs coûts pour rester compétitifs et par voie de conséquence économiser sur la qualité du recrutement et le contenu des formations.
Autre conséquence directe de cette dynamique, certaines entreprises de sécurité privée ne disposent pas de services supports tels que celui des ressources humaines pourtant nécessaires à la bonne gestion du personnel. Ces difficultés ne sont pas insurmontables mais nécessites au préalable des réformes profondes qui ne peuvent se faire sans l’appui d’un Etat régulateur.

Vers une meilleure gestion de la diversité ?

La diversité au sein des forces de sécurité privée semble être un choix non maitrisée. Cela n’enlève rien à la confiance que leur portent les français et à la motivation des milliers d’agents qui assurent au quotidien des missions de surveillance et de protection. L’objectif aujourd’hui est de leur exprimer à notre tour notre confiance en agissant sur plusieurs leviers :

D’abord fidéliser les effectifs. En effet malgré, l’accord du 5 mars 2002 signé par les principales organisations patronales qui institue un taux de reprise de 85 % des salariés, la profession souffre toujours d’un tourn-over important (environ 70 %). Les acheteurs réclament cette fidélisation car elle permet de tisser du lien entre les agents et leurs clients. Cette relation de confiance qui s’installe donne une âme à ces missions.

Ensuite, la lutte contre le travail dissimulé. Cet engagement du Gouvernement devra mettre un terme à l’exploitation dans des conditions inacceptables ces agents souvent non déclarés et quelques fois sans papier.

Enfin, permettre aux salariés d’évoluer par le biais de la formation. Cet exercice plus difficile réclame des moyens financiers que la profession ne dispose pas aujourd’hui. Pourtant il existe des formations permettant de susciter des vocations comme le baccalauréat professionnel ou la licence sécurité privée pour les cadres intermédiaires ou le master ingénierie des risques pour les managers.
Aussi, la circulaire d’application de la LOPSSI II en date du 28 mars 2011 crée le conseil national des activités privées de sécurité (CNAPS). Cet organisme de droit public aura pour fonction de réguler le secteur. Le CNAPS n’aura à priori pas d’emprise sur la formation des agents. Seulement, la régulation par le contrôle des entreprises imposera vraisemblablement un niveau de qualification plus important. La délivrance des agréments ainsi que des cartes professionnelles auront pour conséquence de mieux sélectionner les candidats à la profession. Il ne fait aucun doute que le défi pour les acteurs du secteur sera la montée en puissance des agents contre une augmentation des tarifs. La sécurité privée va massivement recruter dans les prochaines années faisant ainsi passé ses effectifs de 150 000 à près de 300 000 dans la décennie à venir.

Intégrer les forces de sécurité privée comme publique constitue une vocation. Cette vocation qui anime ces milliers de femmes et d’hommes d’origines diverses sert avec honneur et dignité les intérêts de la nation dans sa diversité sans exclusives. C’est le modèle républicain que nous devons protégeons.
Les Ministres de l’intérieur qui se sont dernièrement succédés ont tous manifesté régulièrement leurs volontés de restaurer la sécurité partout et pour tous. Ils ont seulement oublié « avec tous » !!!!

 

1 http://tempsreel.nouvelobs.com/politique/20040114.OBS2486/aissa-dermoucheprefet-du-jura.html

2 Les zones franches urbaines ont pour objectif de développer et diversifier l’activité économique, créer de la mixité sociale et urbaine, créer des emplois en faveur des habitants.

3 Les zones d’éducation prioritaire sont des zones dans lesquelles sont situés des établissements scolaires dotés de moyens supplémentaires et d’une plus grande autonomie pour faire face à des difficultés d’ordre scolaires et sociales

4 4000 cadets ont été formés depuis le début du dispositif en 2003. 

5 Gendarme Adjoint Volontaire

6 La mesure est possible au renouvellement du 4ème contrat.

7 Les classes préparatoires intégrées fonctionnent auprès de l’Ecole Nationale Supérieure de Police et l’Ecole Nationale Supérieure des Officiers de Police. 8 12 candidats de prévus pour la première année