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Driss Aït Youssef – La diversité dans le recrutement des forces de sécurité

Président : Driss AIT YOUSSEF, chargé de mission
Rapporteur : Bertrand DEUMIÉ, inspecteur des affaires sociales

Ministère de l’intérieur, de l’outre-mer et des collectivités territoriales
Dialogue « Jeunesse Police »

Le 31 août 2009, M. Brice Hortefeux, Ministre de l’Intérieur, de l’Outre-mer et des collectivités territoriales déclarait, lors de la première rencontre avec les associations autour du thème « dialogue jeunesse-police » que l’un des groupes « sera consacré à l’Égalité des chances et à la promotion [de la] diversité dans les forces de sécurité. Il est, en effet, essentiel que les forces de sécurité entretiennent un lien permanent avec la population, notamment en représentant la diversité de la société ».
Le groupe de travail n°4 du dialogue jeunesse-police constitué à cette occasion s’est donc vu chargé de traiter le thème de l' »égalité des chances et de la promotion de la diversité dans les forces de sécurité ». Le groupe, dont la composition figure en annexe 7, a été présidé par M. Driss Aït Youssef et a mené ses travaux du mois d’octobre 2009 à mars 2010.


Avant de lancer ses travaux, le groupe de travail a pris le temps de définir les termes du débat, notamment les notions de jeunesse, de diversité, d’égalité des chances et de forces de sécurité :

  • La jeunesse visée dans ce rapport n’appelle pas d’observations particulières. S’agissant de questions de recrutement, elle peut être cernée par la catégorie classique des 16-25 ans, c’est-à-dire les jeunes d’âge scolaire et universitaire dont la formation et l’insertion professionnelle sont les préoccupations principales ;
  • La diversité et l’égalité des chances sont des notions plus problématiques sur lesquelles il est bon de revenir.
    • L’idée d’égalité des chances renvoie à une idée de justice sociale, en ce que les personnes de talent équivalent doivent avoir les mêmes perspectives de succès quelle que soit leur position initiale dans la société. Il s’agit d’une notion proche de celle de l’égalité républicaine, jugeant chacun sur la base de son talent et non en fonction de ses origines sociales. Cette notion renvoie par ailleurs à l’idée de compensation des handicaps sociaux de la même manière que pour les handicaps physiques, afin de retrouver une égalité.
    • La diversité quant à elle est avant tout un concept sociologique, renvoyant à toutes les typologies qui peuvent être mises en œuvre pour décrire la société : genre, origine sociale, géographique, ethnique,… En utilisant le mot de diversité seul, on ne précise pas quel critère dominant est visé. Le groupe de travail a considéré que la diversité devait s’entendre dans la suite de ce rapport sous les deux angles sociaux et géographiques. Les jeunes dont il sera question sont ceux issus de quartiers populaires (donc le plus souvent d’origine modeste, la ségrégation spatiale recouvrant les différences sociales) et confrontés à des difficultés d’insertion professionnelle (l’intégration au sein de la fonction publique jouant alors un rôle assez classique d’ascenseur social). Tout en reconnaissant que ces deux critères sont le plus souvent étroitement liés à une autre forme de diversité, la diversité ethnique, le groupe de travail n’a pas souhaité en faire un point d’appui. L’usage du critère ethnique est apparu comme inapproprié s’agissant de questions liées au recrutement dans la fonction publique, bien que certains rapports et études y aient consacré certains développements 1.
    • Les forces de sécurité méritent également quelques éléments de définition. Deux possibilités étaient ouvertes : soit de considérer l’ensemble des forces concourant à la sécurité intérieure, incluant alors militaires et sécurité civile, soit de prendre en compte les seules forces de sécurité publique, ainsi que le fait par exemple la Commission Nationale de Déontologie de la Sécurité, qui fait entrer dans son champ d’investigation la police et la gendarmerie nationales, les polices municipales, les polices des transporteurs urbains (y compris la SUGE de la SNCF), les entreprises de sécurité privée et l’administration pénitentiaire. La définition adoptée par le groupe de travail est plus restrictive, puisqu’elle ne couvre que les services de police nationale et de gendarmerie. La raison de ce champ d’investigation plus réduit est essentiellement liée à la représentation, au sein du groupe de travail de ces deux institutions uniquement. Cela représente un ensemble composé de 98 155 équivalents temps plein (ETP) pour la Gendarmerie et 144 790 ETP pour la Police nationale selon les chiffres du projet de loi de finances pour 2010.

    Enfin, le groupe de travail s’est interrogé sur la question de la représentativité des forces de l’ordre dans la société. Au-delà de ce concept de représentativité, ce sont deux conceptions différentes qui peuvent être mises en œuvre :

    • La première est basée sur l’idée de la bureaucratie représentative, d’origine anglo-saxonne. Cette théorie est étroitement liée à la formule de Lincoln du gouvernement du peuple par le peuple pour le peuple. En ce sens, la fonction publique ne serait légitime que dans la mesure où elle reflète la diversité de la population. Cependant, cette théorie ne peut prospérer en France, la fonction publique n’étant pas au service du peuple mais de l’État, elle n’a pas vocation à « représenter » des segments de la population2;
    • La seconde, qui a paru plus féconde, est le constat pragmatique que des forces de sécurité plus proches, y compris dans leur composition, des usagers seront plus efficaces et mieux reconnues. Un rapport3.a ainsi pu noter que « la constitution de services publics qui « ressemblent » à la population [apparaît] comme une nécessité dans un contexte spécifique où les agents sont rejetés par les usagers et/ou sont accusés de racisme. C’est ce qui explique que l’institution policière se soit trouvée placée, dans de nombreux pays, au centre de la réflexion sur le recrutement volontariste de membres des minorités. […] L’objectif est de réduire la distance sociale entre les policiers et la population, mais aussi de désamorcer les accusations de racisme ou de « discrimination institutionnelle ».

    Une fois cette orientation posée, il convient de souligner que cette exigence de représentativité dit être rendue compatible avec les grands principes gouvernant le service public mais aussi avec les aspirations des personnels issus de la diversité, aspirations qui ne tendent pas forcément à ce que leur « différence culturelle », pour autant qu’elle existe, soit reconnue. Ils peuvent également souhaiter que leur soit appliqué le traitement commun à tous les fonctionnaires exerçant le même métier qu’eux. En d’autres termes, la promotion de la diversité au sein des forces de sécurité ne doit pas être contreproductive. Elle doit au contraire permettre à un maximum de personnes de rejoindre la situation de droit commun le plus rapidement possible, en limitant les actions correctrices dans le temps4.Les travaux ont été scandés par des réunions essentiellement thématiques, une liste des thèmes ayant été arrêtée lors de la première réunion plénière. Cette liste a été élaborée par la présidence suite à des réunions avec les différents membres composant les « collèges » représentés au sein du groupe (Gendarmes, policiers, syndicalistes, représentants associatifs) durant le mois d’octobre.
    Par ailleurs, le président du groupe de travail a animé, en parallèle de la démarche, des rencontres police-population à La Courneuve, dont une synthèse des débats figure en annexe 7.
    Cette liste a toutefois fait l’objet de multiples actualisations, pour tenir compte de l’intérêt manifesté par les participants sur un sujet ou un autre (par exemple la question de la régionalisation des concours de recrutement) ou de l’actualité (par exemple le dévoilement de l’étude menée par l’INED pour le compte de l’observatoire de la diversité et de la parité du Ministère de l’Intérieur sur la diversité au sein du ministère début février 2010).
    L’idée retenue tout au long de la démarche a été d’éviter les réunions trop fréquentes qui ne permettent pas aux membres du groupe –tous exerçant par ailleurs une activité professionnelle et / ou des activités syndicales ou associatives- de pouvoir y participer. De même, un essai de fonctionnement en sous-groupes a été abandonné car générant de la complexité. Il faut par ailleurs noter que la présence de trois périodes de vacances scolaires (Toussaint, Noël et vacances d’hiver) n’a pas facilité la démarche. Une première série de réunions a été menée au mois d’octobre 2009 afin de prendre contact avec les différents membres des différents « collèges » (policiers, gendarmes, représentants syndicaux et associatifs) afin d’évaluer leurs attentes et l’approche du sujet. A un rythme moyen d’une réunion par mois environ, le groupe de travail a abordé le sujet par la voie thématique : ont ainsi été successivement discutés les enjeux du recrutement et de la vocation, la question de la communication de l’institution, la question des concours de recrutement, un bilan statistique de la diversité au sein du ministère de l’intérieur et des sujets d’accompagnement social.

  • 1 – Le rapport d’Azouz Begag, au ministre de l’intérieur, « La République à ciel ouvert » de novembre 2004, recommande de « recruter des policiers dans le vivier ethnique » et « de lancer explicitement des campagnes de recrutement en ciblant les jeunes issus de l’immigration visible, d’origine maghrébine et africaine, et par extension tous les jeunes issus des différentes vagues migratoires »
    2 – Pour une conception contraire explicitement affirmée, voir l’exemple de la police de New-York dans l’article en annexe.
    3 – Gwénaële Calves, rapport pour la Direction Générale de l’Administration et de la Fonction Publique, « Renouvellement démographique de la fonction publique de l’État : vers une intégration prioritaire des Français issus de l’immigration ? », février 2005, p43